La langue des signes américaine pour apprendre l’anglais

Posted by Speakeasy News > Friday 09 September 2016 > Pedagogy

Le présent article permet de réfléchir à une dimension de l’enseignement des langues vivantes parfois insuffisamment inexplorée, celle du langage du corps, de la gestuelle et des émotions. Tous ces éléments contribuent pourtant à la fixation efficace et à la rétention des apprentissages.


Enseigner aux élèves la langue des signes américaine peut vraiment les aider à apprendre et améliorer leur anglais.

Son partenaire lui répond en signant lui aussi. Sarah regarde et répète ses mouvements, tout en déchiffrant "B…A…S…T…E…". Bastien secoue violemment la tête et répète son geste, le petit doigt en l’air. Sarah réalise son erreur et sourit "I… E… N. Hello Bastien!".

Bastien sourit lui aussi pour montrer qu’elle a bien compris et c’est à son tour de déchiffrer ce que Sarah lui signe. Une fois qu’il a tout épelé "S…A…R…A… euh, qu’est-ce que c’est ?... H!", ils se saluent et changent de partenaires.

Les élèves de cette classe de sixième ne sont pas peu fiers d’apprendre non pas une, mais DEUX  langues étrangères ! Ils viennent en effet d’apprendre l’alphabet en langue des signes américaine et l’utilisent afin d’apprendre à se connaître. La semaine prochaine, ce sont leurs activités favorites qu’ils devront signer. Grâce à cette nouveauté, la classe s’amuse et ne réalise pas qu’en même temps, elle apprend son alphabet en anglais, travaille sa prononciation et renforce aussi sa connaissance de l’orthographe.

Plus tard dans l’année, Sarah, Bastien et les autres élèves apprendront des chansons en anglais tout en les signant. Ils réaliseront peut-être même un petit spectacle pour leurs parents, ou pour une autre classe à la fin de l’année. En tout cas, c’est un nouveau talent qui leur plaît et dont ils sont fiers.

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Des méthodes d’apprentissage différentes pour des personnes différentes
Ces gestes ne sont pas des mouvements sans queue ni tête comme ceux que les petits de maternelles peuvent apprendre, bien au contraire. Ces mouvements de mains et de bras extrêmement exigeants composent la langue des signes et en font une langue étrangère à part entière. Selon le New York Times, elle est même la quatrième langue la plus étudiée par les étudiants américains. Et pourtant, pour certains professeurs d’anglais, utiliser la langue des signes en classe reste aussi utile que les mimes en maternelle. Cette technique aide pourtant à assimiler un nouveau vocabulaire par l’association des gestes avec les mots, en faisant participer tout le corps au processus d’apprentissage. Grâce à cela, ces mots et ces phrases restent gravés dans la mémoire à long terme de l’élève.

Ce type d’activité est ainsi parfaitement adapté pour les apprenants kinesthésiques. En effet, des théoriciens des styles d’apprentissage tels que Barbe, Swassing, Milone (1979) et Neil Fleming (1987) ont observé que des préférences sensorielles pouvaient influencer la façon dont un élève apprend. Ils ont pu en conclure que les élèves avec un profil « visuel » retenaient et s’appropriaient mieux les informations qu’ils pouvaient voir de manière graphique ou écrite, tandis que d’autres avaient un profil « auditif » privilégiant l’écoute et le dialogue.

Les élèves avec un profil « moteur », en revanche, assimilent mieux en manipulant et en touchant les éléments. Ils se souviennent et assimilent les informations en interagissant avec l’espace, et la langue des signes peut donc les aider à ancrer ces mots dans leurs esprits. Car pour eux, les mots à l’oral n’ont rien de palpable, tout comme sous leur forme écrite, où les lettres n’ont pas de lien avec leur sens inhérent. Utiliser la langue des signes en revanche permet de dessiner des images en l’air, d’associer ces images aux mots anglais et donc de lier ensemble le « signifiant » et le « signifié ».

Pendant les années 1970 et 1980, les scientifiques recommandaient de faire correspondre les méthodes d’apprentissage aux profils des élèves afin d’améliorer l’efficacité d’un enseignement. Ici, l’idée n’est pas de chercher à trouver le profil sensoriel de chaque élève, ce qui s’avérerait impossible avec une classe de 30 élèves, mais plutôt à multiplier les différents types d’expériences : oral, lecture, écriture, mais aussi langue des signes. Avec pour but de renforcer l’apprentissage par la répétition d’une même information, de manière différente et intéressante à chaque fois.

Hélène Trocmé-Fabre nous explique que la transformation de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme résulte d’un procédé chimique aidé par la répétition quand les éléments ne sont pas identiques, mais aussi par la multiplication des points de vue. La mémorisation est quant à elle déclenchée par une répétition à l’identique. La langue des signes offre donc une forme d’apprentissage différent, par la répétition non identique, qui pourra aider n’importe quel profil d’élève.

Retenir l’attention des élèves
Utiliser différents outils d’apprentissage n’a rien de nouveau dans un cours de langue étrangère et les professeurs disposent déjà de nombreuses ressources pour chaque séquence : textes, images, photos, vidéos et fichiers audio. Ils ont déjà pris conscience que combiner des supports différents pour apprendre peut-être extrêmement bénéfique, comme utiliser des storyboards pour organiser l’information visuellement améliore par la même occasion les capacités rédactionnelles. Les enfants de notre époque font partie d’une génération habituée à circuler entre tous les médias et à sauter d’une information à une autre, ils sont multitâches. Grâce à la technologie disponible avec leurs ordinateurs et les liens hypermédias de plus en plus répandus en ligne, ils sont à l’aise avec l’intertextualité et la circulation entre plusieurs couches d’informations, ce qui leur donne accès à un nombre quasi infini de textes, vidéos, fichiers audio et jeux interactifs. L’apprentissage par différents modes, par le multimédia ou les différents profils sensoriels, peut donc susciter l’intérêt des élèves et retenir leur attention, ce qui constitue les premiers pas vers l’apprentissage !

La langue des signes a encore d’autres avantages, comme celui de diminuer les interférences entre la langue maternelle et la langue étrangère, car elle permet de réduire la dépendance à cette première pendant les dialogues en classe. Si un élève oublie un mot en anglais, lui montrer le signe correspondant peut débloquer ses souvenirs, servant alors de transition entre le mot et le sens. La langue des signes peut aussi créer un jeu de phrases à trous : l’élève doit d’abord déchiffrer les signes avant d’y répondre en anglais. Les nuances entre certains mots peuvent aussi être plus facilement expliquées, comme le sens identique de "have to" et "need" qui ont un seul et même signe pour les traduire en langue des signes. En revanche, "say" et "tell" possèdent des signes différents. Pour terminer le signe "tell", il faut pointer du doigt son interlocuteur, ce qui implique toujours un interlocuteur en face de soi, on « dit quelque chose à quelqu’un". "Say" lui, ne nécessite pas d’audience.

Tolérance et divertissement
Au-delà de toutes ces raisons purement pédagogiques encourageant l’entrée de la langue des signes dans les classes, la tolérance envers les différences et la compréhension des personnes aux besoins spéciaux sont aussi de grands arguments. La langue des signes n’est finalement qu’un autre moyen de communication, utilisé par les personnes malentendantes, tout comme le français est utilisé par les francophones et l’anglais par les anglophones.

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la langue des signes américaine ressemble beaucoup à la langue des signes française (ou LSF), dont elle tire ses racines. En effet, le pasteur américain Thomas Hopkin Gallaudet, au début des années 1800, s’est rendu en Europe en quête d’une méthode pour éduquer les personnes sourdes. Pendant son séjour, il a pu rencontrer le directeur de l’école pour les sourds de Paris fondé par l’abbé Charles-Michel de l'Épée en 1771. La langue des signes britanniques est, quant à elle, très différente de ses consœurs.

Cependant, la raison la plus importante d’utiliser la langue des signes américaine reste le divertissement ! Il va de soi qu’enseigner dans un environnement positif est bien plus efficace pour les élèves comme pour les enseignants. Car la motivation et l’engagement personnel de l’apprenant ont une grande importance sur les processus cognitifs et influencent l’attention des élèves, mais aussi la façon dont ils vont retenir l’information (Push & Bergin, 2006). Cette nouvelle activité peut ainsi faire naître ou stimuler la curiosité et le désir d’apprendre chez les élèves.

Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à regarder l’alphabet de la langue des signes américaine sur la gauche, une vidéo dictionnaire de cette dernière, ainsi que des informations complémentaires sur www.handspeak.com !

 


Auteur(s) :

Cynthia Benrey est professeure au Lycée International de St. Germain-en-Laye, ainsi qu’en classes préparatoires à M. Daniélou (Rueil-Malmaison). Elle forme aussi des enseignants.