Tout doit venir des élèves… ou pas…

Posted by Speakeasy News > Thursday 17 May 2018 > Pedagogy


Il est assez courant d’entendre que, dans le cadre d’une pédagogie active et promouvant la démarche heuristique, "tout" doit venir des élèves sans que soit réellement précisé ce que "tout" recouvre ou ce que "venir des élèves" veut dire.

Peut-être convient-il déjà de rappeler qu’en matière de pédagogie, il est assez handicapant et limitatif d’avoir recours à des principes universels et généralisateurs sans une analyse fine du niveau concerné, du moment de l’année, de l’âge des élèves, des compétences qu’ils possèdent, des difficultés qu’ils rencontrent et de tant d’autres critères qui font des professeur-es les personnes les mieux placées pour prendre des décisions dans la classe en toute connaissance de cause.

Début de collège
Prenons un exemple qui illustrera le propos : imaginons une classe de Sixième, en début d’année, dont les élèves ont eu des expériences diverses avec l’anglais dans le primaire. Ils ont, pour une douzaine d’entre eux, un niveau A1 assez stabilisé, pour une dizaine très peu de connaissances et de compétences avérées et pour les quatre restant un niveau A1+. Les premières semaines de l’année permettent à l’enseignant-e de diagnostiquer les points forts et les difficultés des un-es et des autres par le biais d’activités variées, et pas forcément en « reprenant les bases » grâce à de nombreux exercices de grammaire.

Ce début d’année représente l’occasion de mettre en place progressivement le Classroom English élémentaire (consignes dans les cinq activités langagières, langue du Warm up, de l’interrogation de leçon et de toutes les autres « missions » que l’on peut confier progressivement aux élèves – appel, interrogation de leçon, etc.). De deux choses l’une, soit les élèves les plus performants ont déjà acquis – ou été exposés – à ces faits de langue et ils sont bien en mesure de les réactiver et d’aider les autres à les acquérir et à les comprendre, soit personne dans la classe ne sait dire "I’d like to call the roll". Dans ce cas, il est bien question pour l’enseignant-e de l’apporter en veillant à ce que l’expression corresponde à un « vouloir » dire, à un besoin d’expression.

Bien sûr, les élèves pourront être encouragés, très tôt, à développer des stratégies de contournement, de reformulation, d’approximation, même par des formules maladroites que l’on ne laissera pas s’installer, en offrant assez vite l’expression qui convient et en en assurant la fixation par des répétitions et des réutilisations successives.

Comment apporter des outils langagiers ?
Par exemple, au lieu de toujours se référer à la langue maternelle en disant "What’s the English for ‘faire l’appel’?", on leur laissera quelques instants pour émettre des hypothèses et trouver, par exemple, "I want to say the names", "I want to ask who’s absent", *"I want to do the absents", *"absents?" ou tout autre formulation qui témoignera du besoin de dire et de l’utilisation de stratégies langagières créatives pour s’exprimer au lieu au lieu de simplement reculer devant l’obstacle.

Bien sûr, plus tard dans la scolarité, au fur et à mesure que les compétences des élèves s’affinent, il devient plus envisageable de s’appuyer sur les connaissances des uns pour faire progresser les autres. Toutefois, lorsque l’on renvoie aux camarades la demande "What’s the English for …?", la réponse ne fuse pas toujours et attendre qu’elle émerge spontanément n’est pas forcément couronné de succès. Un temps précieux est bien souvent consacré à ces sollicitations, qui présentent également le défaut de renvoyer les élèves à une approche fondée sur la traduction. Quitte à solliciter les élèves sur des éléments dont on sait qu’ils sont connus, l’on peut alors avoir recours à des flashcards (papier ou numériques) ou à des rapides jeux de hangman, par exemple.

Enfin, les demandes nombreuses et intempestives de lexique par les élèves peuvent être le signe que la phase d’anticipation censée apporter les outils langagiers a été absente ou n’a pas fourni l’effet escompté. Les activités régulières de rebrassage du lexique connu ou les jeux destinés à les mobiliser rapidement (jeux de cartes de lexique, Word Bingo, Word Walls, Pictionary, Word Ladders, Crosswords, Categories (équivalent du jeu du Baccalauréat), Word Chains, jeux d’association d’idées, etc.) ainsi que la constitution d’outils méthodologiques de gestion du lexique (cartes heuristiques, tableaux, spidergrams, etc.) sont autant d’occasions d’aider les élèves à mémoriser et à utiliser le vocabulaire acquis.

Stratégies compensatoires
Comme cela a été évoqué plus haut, il est essentiel d’équiper les élèves, très tôt mais très progressivement, avec les outils langagiers et les stratégies leur permettant de ne pas se laisser arrêter par un obstacle lexical. En effet, la question "What’s the English for…?" ne fait que renforcer leur dépendance par rapport à leur professeur-e, car il est bien sûr tout à fait impossible d’y avoir recours en situation de communication avec des anglophones… Ils seront encouragés à explorer les différentes stratégies à mettre en œuvre pour ne pas se retrouver bloqué-e par un problème de lexique inconnu.

Voici quelques stratégies compensatoires à développer :

  • les gestes (tellement utilisés en contexte authentique et si souvent oubliés en contexte d’apprentissage d’une langue) ;
  • la modification du message (l’élève dispose de quelques instants, le temps de laisser un camarade s’exprimer, pour reformuler son message avec des éléments connus) ;
  • l’approximation (un-e élève ne sait pas dire "truck", il/elle dira "a big car to transport things") ;
  • la définition qui s’appuie sur la maîtrise de la proposition relative (pour dire "autumn" ou "fall" on peut dire "the season which is/comes after summer") ;
  • la description ou reformulation (pour dire "truck", on dit "it looks like a big box on wheels", pour wages "the money you get at the end of the month when you work"), etc.

L’approche par la traduction, induite par "What’s the English for…?" met aussi le doigt uniquement sur le mot, l’élément lexical isolé. L’approche par le développement de stratégies a le grand mérite de poser de façon plus claire le concept derrière le mot.

Enfin, parler de lexique et de traduction rend nécessaire d’aborder une question souvent tabou, celle de l’utilisation du dictionnaire. Après tout, tout apprenant de langue à recours, à un moment ou à un autre, le dictionnaire, alors autant apprendre aux élèves à s’en servir !


Auteur(s) :

Ruth Alimi est IA-IPR dans l'académie de Paris, et conseillère pédagogique de Speakeasy News.